Une nouvelle Arche
Nous sommes tous conscients que notre planète vit une crise qui trouve son origine dans une collision d’échelles de temps, d’espace et d’acteurs ou d’agents : le maintenant et le centennal ; le ici et le global ; l’individu et la biosphère. Comment les décisions qu’induisent les marchés économiques globaux, quasi instantanés, fait d’agents autonomes, peuvent-elles prendre en compte la lente formation de l’humus du sol d’une forêt où poussent des arbres millénaires ? Comment la biodiversité peut-elle rester garante d’adaptation quand l’échelle temporelle du changement climatique intercepte celle de l’individu ? Comment pouvons-nous nouer une nouvelle alliance avec la sphère vivante de cette planète ? Pour cela il faut tenter de comprendre l’autre depuis son point de vue et non pas du nôtre, devenir animal, plante, champignon, algue, bactérie, mais aussi roche, vent, air et océan.
Mais la Terre est aujourd’hui habitée de machines, créations d’un homo faber avant d’être sapiens, démiurge dépassé par sa création mécanique comme Dédale dont les statues, si elles n’ont pas un ressort qui les arrête, s’échappent et s’enfuient, au lieu que celles qui sont arrêtées demeurent en place comme l’argumente Socrate dans le Ménon de Platon, en critique d’une science irréfléchie et qui s’éloigne de l’émotion et de l’esthétique à vouloir se rapprocher trop près du réel. Ces machines matérielles portent en elle un nouveau monde virtuel, un monde d’espaces de données et de flux qui incluent la sphère financière dont l’existence stable s’inscrit uniquement dans une logique de croissance, de dévoration du capital (Rouland A. – Enquête sur la Banque – 1867).
Si devenir implique de se transformer en autre chose et, ce faisant, de changer la façon dont nous concevons l’existence elle-même, peut-être que les plantes et les algues constituent cette altérité avec laquelle nous devrions choisir de nous connecter afin de réinventer un humain ne mettant pas la vie sur notre planète sous tension. Mais notre devenir est tout autant machinique et virtuel que vivant, et une nouvelle arche est à construire pour affronter la singularité.
Devenir débute par un voyage vers l’approche de la biosphère que les plantes et les algues peuvent nous enseigner. Pour comprendre et anticiper la réponse du vivant au changement climatique, et construire avec lui et les sphères machiniques une alliance nouvelle, un autre protocole est nécessaire, associant les arts et les sciences, les approches esthétiques, émotionnelles et rationnelles. Devenir plante – algue – vent – océan – machine amènera les chercheurs, les artistes ainsi que le grand public à remettre en question la perception des plantes et des algues, de l’atmosphère, de l’océan, des machines, des marchés financiers, à envisager et à inventer avec elles un autre jeu de ficelles (string figures), comme dirait Donna Harraway : il ne s’agit plus de nous faire prendre conscience de ce que les plantes et les algues nous apportent, mais de dépasser cet anthropocentrisme et d’imaginer comment nous allons être transformés par elles. Par la transformation devenir plante – algue – vent – océan – machine, nous allons commencer à concevoir scientifiquement, artistiquement, écologiquement et aussi politiquement ce que sera l’Anthropocène, le nouvel âge géologique où l’action humaine façonne la planète, créant à pas sûrs, à pas lents, de nouvelles couches jusque dans la lithosphère : é o pau, é a pedra, é o fim do caminho.